Les dirigeantes locales d’Afrique de l’Ouest se réunissent à Lomé pour discuter des opportunités de participation politique des femmes
20.12.2024
Du 5 au 6 décembre 2024, l’« Événement pour les femmes dirigeantes locales d’Afrique de l’Ouest » a été organisé à Lomé dans le but de faire avancer le débat sur la façon de renforcer l’engagement des femmes et leur pleine participation à la vie politique et publique dans la région.
La conférence, organisée par la Commission européenne, en partenariat avec Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) et le Forum des Gouvernements Locaux du Commonwealth (CGLF), a réuni environ 60 femmes maires et élues pour discuter des défis, des priorités et des avancements en matière de participation politique des femmes en Afrique de l’Ouest, partager des pratiques et des idées sur la mise en place d’actions efficaces en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes en politique, et échanger sur de possibles stratégies visant à engager plus de jeunes femmes en politique, en renforçant notamment le mentorat et la collaboration intergénérationnels.
L’événement, convenu dans le cadre de la collaboration stratégique entre les organisations susmentionnées au titre de l’accord-cadre de partenariat, a été l’occasion pour CGLU de mettre l’accent sur la participation des femmes au niveau local par le biais de sa contribution à l’initiative WYDE sur le Leadership des Femmes. Lancée en mars de cette année, l’initiative est menée par ONU Femmes et financée par la Commission européenne, en partenariat avec CGLU, IDEA International et l’Union interparlementaire, et vise à amplifier la voix des femmes élues au niveau local, soutenir leurs réseaux, favoriser les conditions d’une une autonomisation réciproque par le renforcement des capacités, et transformer les normes sociales pour générer des démocraties locales équitables.
Marlene Holzner, directrice de l’unité sur les autorités locales, les organisations de la société civile et les fondations (G2) de la DG INTPA à la Commission européenne, a introduit la session en rappelant la nécessité de développer la collaboration avec les gouvernements locaux pour renforcer la participation politique des femmes, aux côtés de Yawa Kouigan, présidente de la Faîtière des Communes du Togo et ministre des communications et des médias du Togo, Prof. Kossiva Zinsou-Klassou, ministre de l’Action sociale, de la Solidarité et de la Promotion des Femmes du Togo, et Rohey Malick Lowe, maire de Banjul, présidente du Réseau des Femmes Élues Locales d’Afrique (REFELA) et membre de la Commission permanente de CGLU sur l’égalité des genres, qui a partagé des paroles inspirantes :
« En tant que femme dirigeante en Afrique et première femme maire dans mon pays, j’ai vécu les profonds défis auxquels les femmes sont confrontées en matière de participation politique. J’ai également été témoin de l’extraordinaire pouvoir de transformation que les femmes possèdent pour façonner nos villes et nos territoires. Nous sommes les défenseuses des droits, les bâtisseuses de l’avenir et le cœur de nos communautés. Cet engagement est profondément ancré dans l’héritage du mouvement municipaliste, qui défend l’égalité et la justice depuis plus d’un siècle. Depuis les premiers efforts de paix du 20e siècle jusqu’à l’adoption de la Plate-forme d’action de Beijing en 1995, nous n’avons cessé de souligner le rôle de la gouvernance locale dans la réalisation de l’égalité mondiale. À l’approche du 30e anniversaire de la plateforme de Beijing, en 2025, notre détermination est plus forte que jamais. Nous planifions une ample feuille de route pour ces célébrations, comprenant notamment un engagement actif dans la Commission de l?ONU sur la condition de la femme en mars 2025, le Forum politique de haut niveau en juillet 2025 où nous examinerons la localisation de l’ODD 5, et le Sommet social mondial en novembre 2025. Dans la perspective de ces échéances, la vision politique de CGLU reste fermement ancrée dans les soins en tant qu’axe de transformation pour la résilience et l’équité. »
Pendant les deux jours de conférence, CGLU a été représentée par plusieurs femmes maires et élues, dont Koubounou Touni, Maire de Doufelgou (Togo), Marie Angèle Meyang Épse Noah, Maire d’Afanloum et Présidente du REFELA-Cameroun, Cecilia Anaman, membre de l’Assemblée élue d’Ogbojo (Ghana), Harlette Kouame Badou N’Guessan, maire d’Arrah et première vice-présidente de l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire, Lucie Sessinou Ablawa Épse Tidjani, maire de Kétou, présidente du Réseau des femmes élues conseillères du Bénin (RéFEC) et présidente du REFELA-Bénin, Siah Keah Victor, maire de Bopolu (Liberia), Mamou Bamba Diabaté, maire de Pélengana (Mali) et présidente du REFELA-Mali, Yvonne Ebodiam Tchoumbi Épse Heidi, Maire de Nkongsamba (Cameroun), ainsi que Gertrude Nadia Sena Dossa, Adjointe au Maire, Cheffe du 2ème arrondissement de Porto Novo (Bénin), Aissata Bâ, Adjointe au Maire de Sebkha (Mauritanie), Nadia Debe, Conseillère Municipale du 2ème arrondissement de Golf 6 (Togo), toutes trois membres du Réseau YELO.
Les discussions ont permis de souligner que, bien que les normes sociales patriarcales continuent d’entraver les progrès et que la résistance à la participation des femmes à la prise de décision reste souvent accompagnée de violence fondée sur le genre – à la fois physique et psychologique, hors ligne et en ligne – le niveau local offre une occasion unique d’autonomiser les femmes dans la fonction publique et en tant que dirigeantes actives au sein des communautés.
Dans ce contexte, les débats ont mis en exergue le rôle clé et essentiel des gouvernements locaux et régionaux (GLR) en Afrique de l’Ouest et dans le monde pour s’attaquer aux racines systémiques de la violence à l’encontre des femmes et des filles dans la vie publique et politique, y compris le harcèlement, les menaces et l’exclusion des rôles à responsabilités. Grâce à une approche basée sur les Droits Humains, fondée sur la confiance, le dialogue et la responsabilité, les gouvernements locaux promeuvent des politiques qui remettent en cause les inégalités de longue date, favorisent l’inclusion et protègent les femmes dans les espaces politiques. Au centre des discussions se trouvait également la question des stratégies clés pour engager davantage de jeunes femmes en politique, ainsi que le mentorat et la collaboration intergénérationnels, avec une forte représentation du réseau YELO, qui réunit de jeunes élu·e·s de tout le continent. Les jeunes femmes dirigeantes, animées d’un esprit d’imagination radicale, insufflent une nouvelle vie à nos systèmes de gouvernance collective, revitalisant nos capacités et notre pouvoir de créer un changement durable.
Focus à Banjul : les défis, les opportunités et les priorités de la toute première femme maire en Gambie
À l’instar des conversations inspirantes que la conférence a suscitées, nous vous proposons de lire ci-dessous les propos recueillis auprès de la maire de Banjul, présidente du REFELA et membre de la commission permanente de CGLU sur l’égalité des genres, Rohey Malick Lowe, qui a développé des idées clés sur le leadership local, la violence à l’égard des femmes et le rôle des réseaux dans ces questions. Elle a non seulement souligné l’occasion unique qu’offrait l’événement de discuter de la lutte pour l’égalité au niveau local en Afrique, mais elle a aussi généreusement partagé ses expériences personnelles, en expliquant notamment comment elle a su surmonter les défis, y compris la violence politique, et en soulignant son engagement à amplifier les voix des femmes dans la gouvernance locale et la démocratie. Elle a également exposé sa vision des réseaux de femmes élues et de l’avenir de la participation politique des femmes, soulignant son importance en tant que pilier essentiel de la promotion de gouvernements locaux inclusifs et résilients sur l’ensemble du continent.
Question : Qu’est-ce qui vous a incité à vous consacrer à la politique locale ?
Mon engagement dans la politique locale découle d’une conviction profonde que le changement commence à la base. En grandissant, j’ai vu de mes propres yeux comment mon père, à l’époque maire de Banjul, utilisait les décisions locales pour influer sur la vie quotidienne, de l’éducation aux soins de santé, en passant par les infrastructures et la protection des droits des personnes vulnérables, en particulier des femmes. Cependant, j’ai également observé que les voix des femmes étaient souvent mises à l’écart, notamment dans certaines discussions critiques. Cela m’a motivé à prendre part au processus politique, afin de veiller à ce que les préoccupations des femmes, en particulier celles des communautés marginalisées, soient entendues et prises en compte.
Pouvez-vous nous faire part d’une difficulté particulière rencontrée au cours de votre parcours, et de la manière dont vous l’avez surmontée ?
L’un des principaux défis auxquels j’ai été confrontée au début de mon parcours était le patriarcat profondément ancré et l’attente de la société selon laquelle les femmes ne devraient pas occuper de postes à responsabilité, en particulier en politique. Il faut savoir que je suis la première femme élue maire en Gambie. À certains moments, ma manière de diriger et mes capacités ont été remises en question, et j’ai souvent été rejetée ou ignorée. Pour surmonter ces difficultés, il a fallu faire preuve de résilience, nouer des alliances stratégiques et prouver par l’action que les femmes peuvent aussi diriger de manière efficace. J’ai trouvé ma force dans le soutien d’autres femmes dirigeantes dans divers secteurs et en démontrant continuellement l’impact positif de notre leadership sur nos communautés. Cela a été un élément clé de mon parcours et de ma capacité à apporter des changements significatifs.
Pourriez-vous nous raconter l’histoire d’une politique ou d’un processus que vous avez mené à bien et qui vous a particulièrement touchée ?
L’une des initiatives les plus significatives que j’ai menées a été une politique ayant pour but d’améliorer l’accès des filles à l’éducation, en particulier dans les zones rurales. En collaborant avec les autorités locales de la région et du territoire, nous avons mis en place une série de programmes éducatifs communautaires qui ont rendu les écoles plus accessibles et mieux adaptées aux besoins des filles. Ces programmes comprenaient notamment des campagnes de sensibilisation des familles sur l’importance de l’éducation des filles. Le résultat a été une augmentation significative des taux de scolarisation et, plus important encore, il a permis aux familles d’investir dans l’avenir de leurs filles. Savoir que cette politique a eu un impact direct sur la vie de jeunes filles a été une expérience profondément gratifiante.
Je m’efforce également d’améliorer l’approvisionnement en eau pour les femmes grâce à l’initiative « Women for Water » dans l’ensemble du pays. Cette initiative vise à autonomiser les femmes sur le plan économique en les aidant à disposer d’eau dans leurs jardins afin d’améliorer les rendements de la production de légumes destinés à la vente, ce qui stimule leur autonomisation économique.
Question : La violence en politique, en particulier à l’encontre des femmes, reste aujourd’hui encore un enjeu majeur. Quelles sont les priorités pour créer des environnements plus sûrs et plus équitables pour les femmes dans la politique locale ?
Réponse : La violence en politique, en particulier à l’encontre des femmes, est un problème qui nécessite une action urgente. Nous devons donner la priorité à la création de lois et de politiques qui protègent les femmes de la violence et du harcèlement en politique. En outre, il est essentiel de mettre en place des systèmes de soutien solides pour les femmes confrontées à ces violences, notamment un soutien juridique, psychologique et communautaire. Nous devons nous efforcer de changer la culture des espaces politiques, afin que le harcèlement, l’intimidation et la violence ne soient plus tolérés et que ces questions soient rapidement abordées. Il s’agit de promouvoir des campagnes de sensibilisation et de plaidoyer pour lutter contre les stéréotypes et les comportements néfastes qui contribuent à cette violence dans les espaces politiques.
Pour créer un environnement plus sûr et plus équitable pour les femmes en politique, nous devons donner la priorité à trois domaines principaux :
– Le premier est le cadre juridique et institutionnel : Il est nécessaire de non seulement renforcer les lois
qui protègent les femmes des violences politiques, mais aussi de veiller à ce que ces lois soient appliquées.
– Deuxièmement, il est important de former et sensibiliser la société : La formation des acteurs politiques,
des forces de sécurité et des médias sur les questions de lutte contre la violence politique de genre
contribue largement à créer des espaces plus sûrs pour les femmes en politique.
– En outre, il est nécessaire de mettre en place des réseaux de soutien et de solidarité solides : La mise en
solides réseaux de soutien pour les femmes politiques, auxquels elles peuvent recourir pour demander
conseil, partager leurs expériences et bénéficier du pouvoir collectif d’exiger des comptes aux institutions
en cas d’abus, est un facteur de motivation pour les femmes.
Question : En tant que présidente du REFELA, quelle est votre vision sur la participation politique des femmes en Afrique et leur contribution à la démocratie ?
Ma vision est celle d’un continent où les femmes ne sont pas seulement des participantes à niveau égal en matière de gouvernance locale, mais où elles dirigent avec le même niveau d’influence et de respect que leurs homologues masculins. J’imagine un scénario où les contributions des femmes au processus démocratique sont pleinement reconnues et où des systèmes sont mis en place pour soutenir leur leadership à tous les niveaux, depuis l’administration locale jusqu’aux gouvernements nationaux. Pour cela, il faut changer les perceptions de la société, créer les conditions de l’égalité des chances et éliminer les obstacles qui empêchent les femmes de s’engager pleinement dans la vie politique.
Quel est votre rêve le plus audacieux et le plus ambitieux ?
Mon rêve le plus audacieux est de voir les femmes occuper au moins 50 % des postes de direction politique locaux et nationaux dans l’ensemble de l’Afrique d’ici à 2030. Il s’agirait d’un changement révolutionnaire dans le paysage politique du continent, qui permettrait de garantir que les priorités et les perspectives des femmes soient véritablement prises en compte dans les décisions qui donnent forme à nos sociétés. Pour y parvenir, des efforts concertés seront nécessaires en termes de réformes politiques, de systèmes de soutien et de transformation des mentalités.
Quel rôle les réseaux de femmes élues au niveau local jouent-ils dans la réalisation de cette vision ?
Les réseaux de femmes élues au niveau local sont essentiels à la réalisation de cette vision. Les réseaux, tels que le REFELA, offrent aux femmes un espace unique pour partager leurs expériences et leurs stratégies de réussite en politique. Ils permettent également de faire émerger une voix collective puissante pour défendre les politiques qui soutiennent l’égalité des genres et la protection des droits des femmes. En travaillant ensemble, ces réseaux peuvent faciliter l’émergence de changements systémiques, assurer la visibilité des femmes dans le leadership politique et construire une solidarité entre les femmes politiques à travers le continent. Ils constituent un élément essentiel d’un mouvement qui cherche à transformer les structures politiques à partir de la base.
En savoir davantage
- Visionnez la vidéo “Banjul est une Femme Africaine”.
- En écouter plus sur les questions de représentation, de leadership et de sororité politique en Afrique : le posdcast de l’Histoire de Rohey Malick Lowe.